Poème du jour : "La Mort du poète", Paul-Hubert
Dernière mise à jour : 22 sept.
"Obscur et doux héros d’un obscur idéal Comme j’étais venu je m’en irai, sans gloire..."
Eugène Carrière, Le Contemplateur, 1901
La Mort du poète
Paul-Hubert (1872-1952), Au Cœur ardent de la Cité, 1908
Fragment cité dans Poètes d'hier et d'aujourd'hui, Gérard Walch, 1916.
J’ai vécu de la Ville et mourrai de sa mort
Pour avoir oublié la terre maternelle,
Qui jadis me berça sous ses horizons d’or
Près de la mer vibrante aux rumeurs éternelles.
Je mourrai de la Ville où mon rêve déçu
Comme un oiseau blessé tomba, les ailes molles,
Des hauteurs du Parnasse où j’avais aperçu
Les frontons lumineux de l’antique Acropole !
Pour avoir préféré l’attrait de la Cité
Aux humbles et doux fruits de l’austère sagesse ;
Pour avoir poursuivi ses folles vanités,
Et souillé mon cerveau de sa mauvaise ivresse ;
Pour avoir obéi à son rude vouloir,
Et subi le contact de sa main despotique ;
Pour avoir pantelé sous son fallace espoir,
Gémi sous son labeur et ses besoins tragiques ;
Pour avoir asservi ma lyre à ses rumeurs,
Traîné ma Poésie en son encre vulgaire,
Et souffert comme un Dieu dans le fond de mon cœur
Du nostalgique mal dont je riais naguère,
Je mourrai de la Ville, humble porteur de luth,
Parmi l’indifférence et la fièvre des foules
Dont je glanais les mots comme un enfant de Ruth
Pour en nourrir mon front où le rêve s’enroule.
Obscur et doux héros d’un obscur idéal
Comme j’étais venu je m’en irai, sans gloire,
Blessé dans mon orgueil d’un mystérieux mal.
Sans avoir entendu le chant de la victoire.
Mais j’aurai savouré la pure illusion
Qui fleurira toujours au cerveau des poètes,
Et connu la douleur qui rend modeste et bon,
La divine douleur que parfois on regrette.
J’aurai connu l’émoi tragique des Cités,
Palpité de l’amour des foules fraternelles
Et surpris les soupirs de leur humanité
Dans le vaste conflit des choses éternelles.
J’aurai vécu parmi la Ville et ses clameurs,
Parmi l’effort, l’espoir, les beautés et les luttes,
Vécu parmi la Ville ardente dont on meurt !
Et dont on a banni les lyres et les flûtes,
Ô Poètes ! surpris du vacarme d’airain
Qui garrotte l’essor suranné de vos rimes