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Fernand Gregh, le sensible poète oublié

Dernière mise à jour : 12 janv. 2021


"Les jours prédits par les pessimistes étaient venus, si lointains de nous qu'ils nous apparaîtraient comme sur les confins du temps illimité. L'homme vivait toujours, maître absolu de la planète d'où il avait chassé toute vie étrangère à l'humanité ; mais devant ce monde qu'il avait plié à ses désirs, et qui n'avait plus de loi que ses caprices, l'homme n'avait plus ni caprices, ni désirs."

Fernand Gregh, 1922 (Agence de presse Meurisse — Bibliothèque nationale de France)


Ainsi commence le court essai Optimisme que l'on peut retrouver à la fin du recueil en prose La Fenêtre Ouverte (1901). Une première version de ce texte fut également publiée dans l'un des rares numéros de la revue Le Banquet en juin 1892, fondée par Gregh lui-même. Ces lignes l'attestent : lucidité parfaite mais sans mépris, écriture fluide, simple, sans profusion, sans redondance, qui ne s'alourdit pas de vanité(s) ; si les écrits de Fernand Gregh sont aujourd'hui pour la plupart oubliés, sa plume tendre, douce et légère, teintée d'un délicat vague-à-l'âme, n'a, elle, pas pris une ride. Les poèmes trouvent leur source dans les thèmes de la nature et de la beauté, décrivent la dorure des soleils couchants, font revisiter les maisons d'enfance inhabitées dans lesquelles courent les fantômes du passé, soulignent les affres de l'amour ou content les espoirs perdus. Fernand Gregh était l'homme de lettres complet, tour à tour mélancolique et ému des petits riens, fin observateur des plus infimes percées lyriques de l'existence. Il faut souligner sa sensibilité rare, l'acuité de ses sensations et ses perceptions, qu'il traduit ensuite entre les lignes de ses plus beaux poèmes. Pour Fernand Gregh la création et la critique littéraires vont de pair. Il n'a cessé de mettre en valeur l'art de ses compagnons de plume, poètes et écrivains divers. Généralement bienveillant, il sait parfois être plus acerbe, comme lorsqu'il décrit Maupassant comme "trop en muscles" : "ce malade des nerfs écrivait d'un style sans nerfs. Jamais l'idée chez lui n'aiguise la forme : elle est trop placide, et, si l'on peut dire, trop saine." - Il adoucira néanmoins ce portrait en précisant que l'on se repose dans Maupassant après avoir été lassé de Balzac et Zola).

Jusqu'à sa mort, en plus de ses propres compositions, il écrira sur les autres. Animé par un enthousiasme immodéré pour les Lettres, il crée la revue Le Banquet en 1892 pour y publier ses premiers vers, ainsi que ceux de Proust qu'il a fort bien connu (voir Mon amitié avec Marcel Proust - Souvenirs et lettres inédites, paru en 1958). Il y publie également les écrits de ses amis de jeunesse. Il écrira sur Hugo, Verlaine, Rodenbach, Henri de Régnier, Henri de Bornier, Zola ou encore Anatole France, pour ne citer qu'eux.


Son merveilleux texte "Mystères", dédié à Maurice Maeterlinck, passé inaperçu, publié dans la Revue Blanche (1886) et repris dans le recueil La fenêtre ouverte (1901), surprend par la grande clarté de vision et d'esprit de son auteur, et par la sagacité de sa prose délicate. L'extraordinaire sensibilité du texte n'est pas sans évoquer la future virtuosité de Marcel Proust dans la restitution des évocations de jeunesse et des impressions sensibles. Plusieurs années auparavant, Gregh brossait, lui aussi, le portrait d'un passé magnifié par les années :


"Mes plus belles traversées, mes ascensions les plus baignées de vent et de solitude, c'est dans ma chambre, les yeux fermés, étendu sur ma chaise longue, que je les ai faites. Et, comme de mes excursions à travers le monde, il en est de mon voyage à dans la vie. Le présent ne me plaît jamais, l'avenir me laisse indifférent, puisqu'il n'est pas ; seul, le passé me paraît beau. Je sais qu'il fut médiocre et imparfait alors qu'il était le présent ; mais le temps l'a dépouillé de tout son précaire et de toutes ses laideurs, et je ne me lasse pas de le contempler. C'est pourquoi je suis fasciné par mon enfance. Comme elle est de toute ma vie la partie la plus éloignée, elle m'en apparaît la plus belle. Je ne puis dire la tendresse, attristée de regrets, que j'ai au coeur pour le petit garçon trop sensible et trop sage que je fus, et combien il me semble que j'ai déchu depuis."


Le poète et romancier André Foulon de Vaulx en livre un très beau portrait dans la revue Nos poètes : revue mensuelle illustrée (dirigée par Maxime Formont). Une nouvelle évocation de cette puissante sensibilité, qui domine toute la vie poétique de Gregh, permet d'en saisir une fois de plus la portée. Foulon de Vaulx évoque le recueil Couleur de la vie (1923) en ces termes :

"Dans ce dernier livre, contrairement à tout ce qu'on pouvait attendre, la part de la culture, du savoir, est de plus en plus réduite. Une seule chose domine : la sensibilité. Sensibilité qui, après six volumes, n'a jamais été plus fraîche, plus intense, plus riche, plus diverse. Nostalgique, douloureux, blessé, ouvert à toutes les pitiés, frissonnant de toutes les misères, grave devant la vie, doucement résigné d'avoir « passé de l'espoir au regret », M. Fernand Gregh, au moment où il croit sa jeunesse partie, nous prouve qu'elle vibre en lui plus ardente que jamais. Les années sont là; mais elles n'ont fait qu'accroître la vigueur de l'arbre, la force de la sève."




25ème anniversaire de la mort de Verlaine : discours de M. Gregh : [photographie de presse] / Agence Meurisse

25ème anniversaire de la mort de Verlaine : discours de Fernand Gregh (photographie de presse) / Agence Meurisse




Gregh a obstinément cherché, sinon les honneurs, du moins une forme de reconnaissance. L'Académie française, après treize vaines tentatives, la lui donne enfin bien tardivement, en 1953, deux ans avant sa mort. Il est enterré auprès de son épouse et amour de toute une vie, Harlette Hayem, - qui signait fièrement ses propres poèmes du nom de "Madame Fernand Gregh" - au cimetière de Thomery.



Irène de Palacio



Beaux jours d'octobre - Fernand Gregh

(La Maison de l'Enfance, 1896)


En ces jours clairs, l'Automne au rêve nous exhorte

On prendrait son adieu pour l'éveil du printemps,

Si le bruit et le vol blessé des feuilles mortes

Imitaient les chansons et les ailes d'antan.


Mais en vain nous rêvons d'avril ! Voici les temps

Où l'âpre bise aura les neiges pour escorte.

Les cygnes noirs n'ont pas encor quitté l'étang,

Mais déjà le grand vent d'hiver sanglote aux portes.


Ainsi semble parfois si douce la tristesse,

Qu'on la prendrait pour du bonheur si, par moments,

Plein de cris et chargé de larmes prophétesses,


Un vent mystérieux ne soufflait brusquement

Une angoisse infinie et de proches tourments

Dans l'Automne doré des sereines tristesses.


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