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François-Marie Firmin-Girard, peintre à succès au cours de la seconde moitié du XIXème siècle, récemment redécouvert — Par Patrick Faucheur


Arrière petit-fils du peintre Firmin-Girard, Patrick Faucheur a vécu depuis son enfance au milieu des nombreuses oeuvres du peintre restées dans sa famille. Après des études d’architecture et de sciences politiques, il a notamment eu des responsabilités dans le domaine du patrimoine. Intéressé depuis toujours par la peinture, il a complété ses connaissances en histoire de l’art en suivant les cours de l’Ecole du Louvre sur l’art du XIXème siècle. Après avoir poursuivi des recherches sur l’oeuvre de Firmin-Girard, il a entrepris la préparation d’un catalogue raisonné et d’un ouvrage sur le peintre.


François-Marie Firmin-Girard (1838-1921)



A l’heure où l’on fête les 150 ans de l’impressionnisme, il convient aussi de s’intéresser et mettre en valeur ces peintres contemporains des impressionnistes, parfois appelés « petits maîtres » qui ont choisi d’autres voies, reflétant la variété des courants artistiques des dernières décennies du XIXème siècle.


Firmin-Girard est de ceux-là. S’il n’a pas eu la renommée des impressionnistes dont il a, un moment, été proche, il s’inscrit pourtant pleinement dans la peinture de son temps en cette seconde moitié du XIXème siècle, durant laquelle il connut les plus grands succès tant en France qu’à l’étranger, en particulier aux Etats-Unis. Il fait partie de cette fraction de l’art du XIXe siècle que le modernisme a longtemps nié et que l’on redécouvre depuis une quarantaine d’années. C’est aux États-Unis que les mentions de l’artiste réapparaissent dans les années 1980 à l’occasion d’une exposition au musée d’art de Cleveland qui en possède un tableau, Le Mendiant, présenté au Salon des Artistes Français au côté des oeuvres de Leleux, Pils et Meissonier. C’est peu après, lors de l’exposition French Salon Paintings from the Southern Collections du musée d’art d’Atlanta, qu’est montrée sa célèbre Toilette japonaise de 1873, tableau qui sera régulièrement publié et présenté notamment lors de l’exposition Le Japonisme aux galeries nationales du Grand Palais à Paris en 1988. L’ouverture du musée d’Orsay en 1986 avait aussi permis de revoir les Convalescents du Salon de 1861 acheté par le Louvre. Et de nombreux musées de province, qui possèdent des œuvres de Firmin-Girard acquises durant son vivant, les exposent aujourd’hui à l’occasion d’évènements.



Firmin-Girard, Le Mendiant



Peu présent dans les salles des ventes depuis sa disparition, jusque dans les années 1980, Firmin-Girard suscite aujourd’hui un regain d’intérêt jusqu’à atteindre parfois des sommets comme ce fut le cas il y a quelques années à New-York pour son célèbre Quai aux fleurs de 1875. C’est sans doute dans son éclectisme que se trouve, au moins en partie, la réponse à cette situation. Réaliste ? Académique ? Impressionniste ? Naturaliste ? Firmin-Girard fut tout cela. Il a multiplié les techniques et les sujets tout au long de sa carrière, créant des ruptures stylistiques qui ont compliqué la redécouverte d’une oeuvre aux multiples facettes.


Aujourd’hui, grâce aux travaux de recherche menés sur sa peinture, aux expositions dans lesquelles il est présent, à la préparation d’un catalogue raisonné, Firmin-Girard, un moment oublié, suscite de nouveau l’intérêt. Son oeuvre fut très importante, elle comprend plusieurs centaines de toiles. Elle constitue une production variée qu’il convient de regarder avec la reconnaissance que l’on porte aujourd’hui à cette peinture du XIXème siècle et du début du XXème, peinture empreinte des marques de l’Académie et qui a côtoyé l’impressionnisme et cherché d’autres voies. Elle attire par le talent du peintre, sa délicatesse que l’on trouve notamment dans ses scènes intimes mais aussi parce qu’elle offre un précieux témoignage de la vie à Paris, à la campagne ou en bord de mer, à son époque. Elle est d’abord l’œuvre de l’étudiant des Beaux-arts formé à l’Académie, puis du peintre qui se cherche, du peintre à succès qui multiplie les sujets avec ses toiles au fini si précieux des années 1870, et enfin du peintre qui nous laisse pénétrer son intimité dans ses portraits, ses paysages ou ses scènes de la vie quotidienne.



Firmin-Girard, Ulysse et les sirènes


 

Arrivé tout jeune à Paris depuis les contreforts du Jura, Firmin-Girard est admis à l’École des Beaux-arts en 1854, en même temps qu’il se forme à la peinture au sein de l’atelier de Charles Gleyre aux côtés de ceux qui deviendront les impressionnistes. Il tente à plusieurs reprises le Prix de Rome de 1861 à 1866, obtenant un second grand prix lors de sa première tentative. Il commence parallèlement à se faire remarquer au Salon par des envois réguliers débutant en 1859 avec un Saint Sébastien. Il n’a que 21 ans et souhaite attirer le regard des pouvoirs publics au moment où l’État commande des tableaux pour ses monuments et les églises de France. Délaissant la peinture académique pour laquelle il a été formé, il se tourne alors vers la peinture d’histoire encore à l’époque au sommet de la hiérarchie des genres. Se succèdent ainsi Saint Charles Borromée pendant la peste de Milan (1861) et la célèbre Mort de la princesse de Lamballe (1865). Les sujets mythologiques sont alors en vogue. Par un dessin précis et des coloris clairs, il se rapproche des jeunes néo-grecs qu’il rencontre un temps dans l’atelier de Jean-Léon Gérôme, il peint Les Sirènes, évocation du voyage d’Ulysse, exposé au Salon de 1864 ou le Sommeil de Vénus au Salon de 1865. C’est dans le domaine de la peinture de genre qu’il remporte sa première médaille, avec Après le bal, de 1863, acquis par la princesse Mathilde, nièce de Napoléon. Firmin-Girard abandonne dès lors progressivement son parcours académique pour se tourner vers les Salons et le marché de l’art.



Firmin-Girard, Après le bal



Tandis qu’il remporte ses premiers succès, il fréquente certains de ses camarades d’atelier, dont les jeunes impressionnistes, lors de séjours à Barbizon. Découvrant la peinture de plein air, Il peint des oeuvres inspirées par les recherches de ses compagnons dont, en particulier Manet et Sisley qu’il a connus dans l’atelier Gleyre. Ses toiles Un déjeuner sur l’herbe, Un Pique-nique en forêt de Fontainebleau, Un Jour de chaleur à Marlotte ou Les peintres à Barbizon sont très proches de celles des impressionnistes. Zola, impressionné, demande en 1865 : « de dire dans le Constitutionnel deux mots en faveur d’un jeune peintre, M. Firmin-Girard ». Il conservera, par la suite, une technique impressionniste dans certaines de ses œuvres, notamment celles où il recherche la simplicité. Sa Femme cousant dans un jardin de 1875 est ainsi proche de certaines oeuvres de Monet ou de Caillebotte. Il retient du style de ses camarades d’atelier une technique rapide que l’on trouve dans certains de ses paysages, ou dans ses scènes délicatement esquissées. Il garde aussi de cette époque un goût pour la campagne. Dès lors, il va très souvent délaisser les rues de Paris pour la province, celle de Charlieu dans la Loire, où il a rencontré son épouse puis plus tard Ault-Onival, sur la côte de la Picardie, où il s’est fait construire une villa atelier et passe une partie de ses étés.



Firmin-Girard, Jour de chaleur à Marlotte



Firmin-Girard, Jeune femme cousant dans un jardin



Au cours des années 1870, s’étant tourné vers le monde du marché de l’art, il multiplie les oeuvres à succès. La critique parle alors de ce « producteur à succès, dont les toiles font tapage et se couvrent d’or ». Il devient le peintre des fleurs et des jeunes femmes de la bourgeoisie, vêtues des dernières robes à la mode. Ses tableaux répondent au goût du public. De cette période date l’impressionnant Quai des fleurs de 1876, récemment reparu sur le marché de l’art. Il est l’un des artistes en vogue aux États-Unis et figure sur les murs des grands collectionneurs américains, les Havemeyer, Astor, Belmont ou Morgan. Il destine à cette clientèle une partie de son oeuvre.



Firmin-Girard, Le Quai aux fleurs



A l’image de son époque, qui a multiplié les références aux siècles passés dans l’architecture ou les décors intérieurs, Firmin-Girard, durant ces années 1870-1880, a emprunté ses modèles à l’Antiquité, au Moyen Âge, à la Renaissance, au XVIIIe siècle, mais aussi pour quelques scènes exotiques au Japon avec sa Toilette japonaise, à l’Italie ou à l’Orient. Il a représenté, avec une particulière fécondité, la diversité de la peinture de son temps. Le goût pour le troubadour et la période rocaille transparaît dans Les Fiancés de 1874 et de nombreuses autres scènes en costumes. Tandis que les Convalescents de 1861 s’apparentait déjà par certains points au réalisme et ses peintures en forêt de Fontainebleau à l’impressionnisme, ses scènes parisiennes, dont La marchande de fleurs, s’inscrivent dans les scènes de genre du Second Empire incarnées par les peintures de Stevens ou de Toulmouche. Et son attrait pour l’architecture des avenues et les costumes de ses contemporains en ont fait aussi un rival de Béraud. Délaissant, pour un temps, la touche impressionniste, il s’est spécialisé dans un réalisme poussé à l’extrême, reproduisant avec un soin méticuleux les moindres détails de l’architecture, des vêtements, notamment les plis des tissus et des soieries mais aussi des fleurs. Sa grande maîtrise qui lui sera parfois reprochée témoigne de la volonté du peintre de se lancer dans un dernier combat, pourtant perdu d’avance, avec le médium photographique.

 

Après 1890, Firmin-Girard abandonne la peinture de genre pour les paysages et le Naturalisme. Il entame une seconde carrière en redécouvrant l’étude de la peinture en plein-air, mais aussi en s’intéressant à la vie à la campagne ou en ville, à celle des paysans et des ouvriers. Il observe l’animation des rues et des places, et les transformations qui s’opèrent dans Paris, mais aussi la vie en bord de mer, celle des pêcheurs et des plaisanciers, à une époque où le balnéaire fait son apparition. Il peint de nombreuses toiles correspondant à la dernière phase de son œuvre. Ce sont les forgerons dans la Forge de Jean Perrat à Saint-Denis-de-Cabanne, les verriers de la Verrerie d’Incheville, ou le ferrage des bœufs. Ce sont aussi les marchés parisiens dont celui des Halles qui viennent d’être construites. Ce sont enfin ces oeuvres qu’il peint l’été à Ault Onival, scènes de plage où des premiers baigneurs s’aventurent dans la mer, scènes de pêcheurs à la crevette poussant leur long filet sur la plage qui se découvre à marée basse, scènes de berger gardant ses moutons dans les pâtures bordant la mer.



Firmin-Girard, Champ de blé



Il vient de rejoindre la Société Nationale des Beaux-Arts au côté de Meissonnier, Puvis de Chavannes et Bracquemond, et expose chaque année plusieurs toiles dans le Salon du Champ de Mars qui se démarque du Salon officiel encore sous l’influence de l’Académie. Le succès est au rendez-vous puisque l’État lui achète un Coucher de soleil au Salon de la Société Nationale des Beaux-Arts de 1894. C’est le moment où il renoue avec des sujets de jeunesse esquissés aux côtés des impressionnistes, multipliant paysages et marines. Une nouvelle touche qui diffère du fini précieux des œuvres précédentes. Firmin-Girard y semble plus authentique, libéré des contraintes académiques et du poids des Salons. Il se consacre à sa vie de famille. Le monde de l’enfance est présent dans les nombreuses représentations de sa femme, de ses enfants et plus tardivement petits-enfants, témoignage d’une vie privée heureuse. Firmin-Girard apparaît aussi comme un animalier méconnu. Ses études de mouettes, de canards ou de dindons qu’il transpose par la suite dans des scènes de genre sont d’un intérêt réel. Dans cette période charnière entre le XIXe et le XXe siècle, avant son basculement dans la modernité, ses peintures semblent davantage empreintes de sincérité, par le choix de leur sujet mais aussi par un traitement moins apprêté. Sa palette plus nuancée n’est plus aussi colorée, même dans les tonalités automnales qu’il continue d’affectionner. Son souci du détail et du rendu de la réalité demeure, mais avec des touches qui se rapprochent de celles des impressionnistes.



Firmin-Girard, Prairie et villas à Onival



Au cours de ces dernières années, Firmin-Girard a suivi la ligne qu’il s’était tracée lorsqu’il a intégré la Société Nationale des Beaux-Arts. Il ne cherche plus à séduire même s’il ne dédaigne pas continuer à plaire. Il veut, plus que dans les périodes précédentes, témoigner de ce qu’il voit, de ce qu’il ressent au sein de sa famille, dans son environnement, mais aussi des gens qu’il côtoie et de leurs activités dans les régions qui lui sont chères, Paris, Onival, Charlieu.



Firmin-Girard, Le carreau des Halles à Paris



Durant cette période de la fin du XIXème siècle et du début du XXème, alors que les progrès se développaient dans de nombreux domaines comme en attestent les Expositions Universelles, de nombreux artistes ont cherché à dépeindre les changements qui s’opéraient, tandis que d’autres ont continué à représenter un âge enchanté dont ils craignaient qu’il ne disparaisse. Les approches artistiques, les styles, les sujets mais aussi la formation, donnaient lieu à divers courants. Certains artistes ont cherché à s’apparenter à tel ou tel, d’autres ont refusé de se voir classés. Ce fut le cas de Firmin-Girard qui a su représenter par sa peinture une variété de mondes, les uns appartenant au passé, d’autres au présent, certains au monde de la ville, d’autres à celui de la campagne. Firmin-Girard s’est attaché à ces univers variés, mettant en scène avec la même facilité et le même intérêt les sociétés parisienne et provinciale, les paysans, les pêcheurs et les artisans mais aussi les jeunes industries naissantes. Il a appartenu au mouvement académique, a été proche des impressionnistes et s’est finalement rapproché des naturalistes. L’éclectisme dont on a pu le qualifier ne résultait pas d’un effet de mode mais davantage d’une ouverture d’esprit qui l’a conduit vers des horizons divers.



Firmin-Girard, Les verriers d’Incheville



Firmin-Girard



Patrick FAUCHEUR


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Pour aller plus loin, nous vous suggérons la lecture de ces quelques oeuvres d’écrivains contemporains de Firmin-Girard, et témoins de la vie artistique de l’époque :

Manette Salomon d’Edmond et Jules de Goncourt

L’Oeuvre d’Emile Zola

A rebours et Certains, de Joris-Karl Huysmans

Trilby de George du Maurier

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