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Le méconnu Georges Hugo mis en valeur le temps d'une exposition

Du 10 novembre 2023 au 10 mars 2024, une exposition inédite à la Maison Victor Hugo retrace la vie et le parcours de Georges Hugo, jusqu'ici resté dans l'ombre de son célèbre grand-père.

Victor Hugo et son petit-fils Georges Hugo

Albert Capelle, 1885

© Maisons de Victor Hugo Paris-Guernesey / Paris Musées.



C'est la première fois que l'on consacre une exposition monographique d’une telle ampleur à l'œuvre du petit-fils de Victor Hugo. Et l’on se demande presque, après une telle découverte, pourquoi il fallut attendre si longtemps. L'homme dont on fait la connaissance le temps d'une visite, sensible, talentueux, complexe, n'a pas volé sa rétrospective. Le détonnant Georges Hugo (1868-1925) a vécu mille vies, dont on déroule progressivement le fil, le long des salles de la Maison Victor Hugo située place des Vosges. Diverses facettes de l’artiste y sont présentées ; enfant timide, jeune homme jouisseur, matelot et soldat accompli, artiste, bien sûr, maniant aussi bien la plume que le pinceau, puis homme mûr, devenu plus indifférent au monde et à ses fantaisies d'après-guerre, qu'il continuait cependant à croquer de son habile coup de crayon. Descendant d’un des plus grands écrivains que la France ait comptés, Georges Hugo eut la tâche ardue de devoir continuellement "faire ses preuves" ; d'apprendre à imposer son art et son identité propres, et de savoir ignorer les mauvaises langues toutes prêtes à ne lui accorder de crédit qu'en tant que "petit-fils de". Il s’en confesse dans une lettre de 1917 à son ami Paul Robert : "Je n'arrête pas de travailler (...). Pourvu que tout ce travail-là, bon ou mauvais, m'arrache ma vieille couronne de petitfils insouciant !" Georges manifesta cependant une fidélité sans faille à son "papapa", ainsi qu'il surnommait son grand-père lorsqu'il était petit, et ce jusqu'à la fin de sa vie. Il signait d'ailleurs la plupart de ses œuvres du nom de "Georges Victor-Hugo", façon de réaffirmer fièrement son attachement à celui qui, dans son esprit, avait su remplacer son père Charles Hugo, disparu en 1871.

Un livre de souvenirs en hommage à Victor Hugo, Mon Grand-père, parut en 1902, puis réédité en 1931. En 1896, Georges Hugo avait déjà fait publier Souvenirs d'un matelot, autre recueil de souvenirs de ses années dans la Marine, une période qui l'avait profondément marqué. Il faut dire que l'esthète mondain et viveur y était devenu fourrier, côtoyant de jeunes marins parfois dépourvus d'éducation, à qui il faisait l'école. Leçon d'humilité — dont il ne manquait pas d'ailleurs —, renouvelée lorsqu'il s'engagea cette fois comme officier de liaison pendant la Première guerre mondiale. Il avait alors quarante-six ans ; ardent patriote, loin de profiter de son âge déjà avancé ou de l'avantage que lui conférait son statut, il fit au contraire des pieds et des mains pour être envoyé au combat. C'est ainsi qu'entre deux rafales d'obus, on pouvait voir celui qui peignait autrefois le riche décor de la maison de Guernesey, Hauteville House, et la gracile silhouette de sa première femme Pauline Ménard-Dorian s’affairant dans leur luxueux salon parisien, maintenant accroupi dans les tranchées, occupé à crayonner les poilus, les champs de bataille, les abris et les tombes de fortune, les blessés, les morts. Et il le fit, avec une impressionnante dextérité, jusqu'en avril 1916. Sa mauvaise santé, — il souffrait de rhumatismes —, l'avait contraint à revenir à Paris. Les soixante croquis publiés en 1917 sous le titre Sur le front de Champagne (l'ouvrage a été réédité par Paris Musées à l'occasion de l'exposition) sont admirables, constituant, dans toute la force de leur saisissant réalisme, un précieux témoignage du carnage de la guerre.


Les œuvres picturales de Georges Hugo sont peu, mal, ou pas datées. On peut malgré tout les situer approximativement dans le temps. Elles sont le reflet d'époques qui se succèdent, de changements de mœurs, d'habitudes, d'atmosphères. Sous l'adroit crayon se déploient tour à tour les paysages naturels, parés de jeux de lumière particulièrement remarquables, et parfois si éclatants qu'ils semblent prendre vie sous le regard ; l'élégance de la Belle-Époque ; les touchants dessins de matelots, et les fresques de navires militaires ; les portraits de familiers, de personnalités connues (Paul Mariéton, Edouard Lockroy, Marcel Schwob, Jean Ajalbert...) ou de simples anonymes... Sans oublier sa maîtrise des clairs-obscurs sur les visages et les silhouettes, et l'art du relief que le pinceau donne à chaque objet ou sujet représenté. Après avoir "croqué" les humbles sur le front, revenu à la société après le traumatisme de 14/18, il s'était mis à caricaturer les années folles, les chanteuses de cabaret trop fardées, l'ivresse affichée des hommes au comptoir des bars, l'agitation des scènes de théâtre et des cafés-concerts, le tout saupoudré d'une touche d'humour grinçant. Certains croquis plus légers s'accompagnent de petites phrases satiriques ; "ces raseurs de russes !", "nous autres démocrates", "jambes trop courtes" — est-ce lui-même qui confesse avoir raté son dessin, ou la danseuse qu'il critique ? (voir galerie ci-dessous). Vers la fin de sa vie, son tempérament nostalgique lui fit plus que jamais regretter "le Temps perdu", celui de son enfance. "Le nouveau Paris de 1920, qui admirait les ballets de Diaghilev, la poésie de Jean Cocteau, les livres de Proust et de Gide, ce n'était pas son Paris" (Jean Hugo [son fils], in Le Regard de la mémoire. 1914-1945, 1983).

Georges Victor-Hugo, ci-devant flambeur, grand travailleur, fin observateur, exigeant, mélancolique et acerbe, était un véritable artiste. S'il essuya des critiques, — on ne prendra pas la peine de les recenser ici —, il reçut aussi de précieux hommages au cours de sa vie, fut soutenu et encouragé par plusieurs fidèles, exposa ses œuvres, se fit respecter. Il n'était plus seulement le "petiphysse", ainsi qu'il l'écrivait jadis (dans cette même orthographe). Mais sa passion du jeu et ses successives errances provoquèrent son déclin et le conduisirent à finir ses jours dans la pauvreté. Ses derniers instants se passèrent dans une petite chambre qu'il louait, sous les combles du "Sporting Club" au 2 rue de l'Élysée. Qu'il était loin, le salon richement orné rue de la Faisanderie, où il vivait autrefois avec Pauline... Frappé par une congestion pulmonaire, Georges Hugo s'éteignit dans cet humble logement, entouré de son fils, de ses vieux amis, et de l'abbé Mugnier qui lui apporta les derniers sacrements. C'était le 5 février 1925.


« Mais quelle modestie hautaine, quelle pudeur de ses puissantes facultés, quel retrait ! Il donnait l’image du mérite vrai, qui se cache, et qu’il faut aller trouver. Tout, chez lui, et même sa bravoure étincelante, courait vers l’obscurité et l’incognito. La publicité lui faisait horreur. (…) Sa devise était : « Pour vivre mélancoliques, vives cachés. » Car il était, naturellement, mélancolique, nostalgique même, et dédaigneux de tous les honneurs, comme de toutes les décorations… Sauf de la croix de guerre, gagnée au feu, en Champagne, à quarante-six ans. Ce petit-fils du chef des romantiques était une nature renfermée. Son art rejoignait les classiques, par la mesure et l’équilibre. De tempérament bohème et insouciant, inaccessible aux engouements et aux modes intellectuelles et artistiques, il appliquait, aux choses et aux gens, un bon sens robuste. Il ne respectait que ce qui est respectable, et se fichait ouvertement des fripons dorés et chamarrés. »

Hommage posthume de Léon Daudet, L'Action française, février 1925.


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Informations :

La Maison Victor Hugo est ouverte du mardi au dimanche, de 10h à 18h.


Plein tarif : 9 euros

Tarif réduit : 7 euros


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Galerie



Georges dans son atelier à Rovezzano, vers 1900

Anonyme

© Maisons de Victor Hugo Paris-Guernesey / Paris Musées.



Georges Hugo, Autoportrait, vers 1890-1898

© Maisons de Victor Hugo Paris-Guernesey / Paris Musées.



Georges Hugo sur le front, 1915-1916

© Maisons de Victor Hugo Paris-Guernesey / Paris Musées.



Georges Hugo, Dora vue de dos

Vers 1910

© Maisons de Victor Hugo Paris-Guernesey / Paris Musées.



Georges Hugo, Victor Hugo descendant l'escalier à Hauteville House

1902-1920

© Maisons de Victor Hugo Paris-Guernesey / Paris Musées.



Georges Hugo, Intérieur, Pauline dans le salon de la rue de la Faisanderie, s.d.

© Maisons de Victor Hugo Paris-Guernesey / Paris Musées.



Georges Hugo, La Salle à manger à Hauteville House

1880-1900

© Maisons de Victor Hugo Paris-Guernesey / Paris Musées.



Georges Hugo, Vue des environs de Florence, s.d.

© Maisons de Victor Hugo Paris-Guernesey / Paris Musées.


Georges Hugo, Islande [île Jan Mayen], 1902

© Maisons de Victor Hugo Paris-Guernesey / Paris Musées.



Georges Hugo, Mlle d'Hinnisdal, s.d.

© Maisons de Victor Hugo Paris-Guernesey / Paris Musées.



Georges Hugo, Chanteuse de cabaret, s.d.

© Maisons de Victor Hugo Paris-Guernesey / Paris Musées.



Georges Hugo, "Nous autres démocrates" (Paul Ménard-Dorian et Jean Ajalbert) Vers 1890-1898

© Maisons de Victor Hugo Paris-Guernesey / Paris Musées.



Georges Hugo, "Ces raseurs de russes !!", s.d.

© Maisons de Victor Hugo Paris-Guernesey / Paris Musées.

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