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Poème du jour : "Anniversaire", par Gérard d'Houville (Marie de Régnier)

"Tout ce qui composait votre âme étincelante A gardé sa splendeur joyeusement brûlante, Et j’y réchauffe encor mes tristesses d’enfant."

Marie de Régnier par Henri Manuel, 1900




Anniversaire

Gérard d'Houville (Marie de Régnier), "Petits poèmes"

Publié dans la Revue des Deux Mondes, tome 42, 1917.


Oui. Je sais bien que c’est par une aube d’automne

Que la mort vous a pris. Mais tout mon cœur s’étonne

Au sombre souvenir de ce matin de deuil.

Pourtant je vous ai vu, et dans votre cercueil

Mêlé pieusement près de votre visage

A vos cheveux d’argent l’or pourpré des feuillages ;

Ceux-là dont vous aimiez les arbres entre tous…

Et nous avons longtemps pleuré tout près de vous.


Et cependant, jamais vous n’êtes mort, mon Père !

Vous n’avez pas cessé depuis cette heure amère

De chérir votre enfant, de la suivre en tout lieu,

Et sa bouche jamais ne vous a dit adieu.

Toujours auprès de moi votre chère présence

M’ordonne en souriant la tendre obéissance

À ce que vous aimiez : des poètes aux fleurs.

Vous êtes là, les jours de joie ou de douleur,

Ne ménageant jamais cette large lumière

Dont vous embellissiez les choses coutumières ;

Vous êtes là, lorsque lisant un livre ami

Je sens se réveiller mon esprit endormi ;

Vous êtes là le long des promenades douces.

Fumant la pipe longue ou rêvant sur la mousse,


Ou cueillant le bouquet dont on parle au retour.

Vous êtes là gaieté, charme, génie, amour !

Tout ce qui composait votre âme étincelante

A gardé sa splendeur joyeusement brûlante,

Et j’y réchauffe encor mes tristesses d’enfant.

Vous êtes là, rêveur, mais toujours triomphant.

Je vous revois souvent sous cette clématite

Qui coiffait le perron lorsque j’étais petite…

Ou caressant un livre… ou récitant des vers…

Ou bien, aux bords des bois matinalement verts.

Pour surprendre au logis Celle qui vous accueille,

Enroulant votre front d’un rieur chèvrefeuille.

Aussi, lorsqu’on me croit seule sur un chemin,

Je suis toute avec vous. Si je tiens à la main

Une tige nouvelle à la corolle nue.

Vers vous qui saviez tout des choses inconnues

Je murmure tout bas : « Dis-moi quel est son nom ? »

Ô mon Père si beau, si charmant et si bon,

Dont le cœur était fait d’une clarté si pure,

vous, lié si fort à toute la nature.

Vous êtes là, vivant, tel que vous étiez né,

Car je vous rends le jour que vous m’avez donné.

© Anthologia, 2025. Tous droits réservés.

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