Poème du jour : "Vieux monde brisé", par Max Jacob
- Irène de Palacio
- il y a 5 heures
- 2 min de lecture
"Mes yeux sont les lampes du Temps."

Vieux monde brisé
Max Jacob
Poème publié pour la première fois en 1936 dans le premier numéro de la revue Le Pain Blanc. Repris ici dans l'anthologie poétique Actualités éternelles : poèmes (1996).
à Georges Caillé
Sous les caps du passé, océan sans rivage
je contemple un amour emporté par les vents.
Les troupeaux fugitifs en la nuit de mon âge
disparaissent. Mes yeux sont les lampes du Temps.
Terres mémoriales mes îles fortunées !
seigneurial délice, majestueux repos !
les rapides chevaux de mes vertes années
n'ont pas lassé mon cœur du bruit de leurs sabots.
J'ai tissé, j'ai tissé de vents et de paroles
un voile au long col gris tenu par les péchés.
De mon dernier portail il cache l'Acropole
et courbe vers le sol un casque empanaché.
As-tu faim de la terre ? Rêves-tu de royaumes ?
Changerais-tu de peau, de pays, de couleur ?
Deux fées se sont penchées pour enlever mon heaume
le fer de leur baiser cicatrisa mon cœur.
Qu'elle brille, la rouge, avec sa guipure !
Ses serviteurs criaient : «Le vieux monde est brisé ! »
Sa licorne au printemps, emprunte sa parure.
La deuxième licorne, les habits de l'été.
«Va ! tu sauras bientôt ce que l'âge contemple ! »
me disait l'autre fée nue sous un beau turban.
Elle était allongée sur les marches du temple
et me tendait un crâne d'or sur un cadran
Un triste et calme vent inconnu sous les astres
qui n'était pas venu d'horizons cardinaux
étendait sur le golfe le jour bas du désastre.
Le vieux monde est brisé, préparons les vaisseaux.
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Très belle présentation du poème sur le site de Jean de Palacio.