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L'histoire méconnue du poète Henri Degron

Dernière mise à jour : 11 août 2023

"Roi d'un pays très bleu de fantaisies, Il m'a fallu courir de par le monde Pour m'emparer de ces terres choisies Où, paraît-il, le Rêve vagabonde..."

Henri Degron, "Roi d'un pays très bleu..."

Corbeille ancienne, 1895


Henri Degron par Félix Régamey

La Plume, 1er octobre 1893



« Tout prenait pour lui un caractère décoratif. Une branche d'arbre et un oiseau formaient à ses yeux tout un paysage ; une mare d'eau sale devenait le plus charmant des lacs. » C'est par ces mots que Tristan Klingsor décrivait son ami, Henri Dominique Degron (1871-1906).

L'histoire de ce poète est étonnante, et longtemps restée nébuleuse. Sont en cause des erreurs biographiques et bibliographiques, notamment diffusées par le catalogue de la BNF — qui confond Henri fils et Henri père, attribuant au fils, à tort, un ouvrage du père (Les Vignes japonaises, 1900). L’histoire de cet ouvrage est la suivante : Henri père, revenu en France après plusieurs années au Japon, fut chargé vers 1880 par le ministre de l'agriculture de retourner chercher, dans l'archipel nippon, des pieds de vignes susceptibles d’être utiles à la viticulture française. Henri père rapporta ainsi du Japon des milliers de boutures, d’abord confiées à l'Ecole nationale d'agriculture de Montpellier, puis développées en Seine et Oise, à Crespières même, où il demeurait avec sa mère et son fils. Il fut récompensé de cet effort par la Légion d’honneur, en 1882. L’attribution fautive au poète de l’étude publiée par Henri père repose sur une confusion entre le père et le fils, qui avaient en partage le Japon, l’année de décès, et, bien sûr, le prénom.

Après un début dans la vie en tant que marin, Henri Joseph Degron, né le 14 avril 1839 s’était installé à Yokohama vers 1860, où il occupait la fonction de receveur des Postes françaises. Henri Dominique Degron, le fils, naquit à Yokohama, en 1871. On ne sait rien, à notre connaissance, de sa mère, sinon qu'elle était native du pays. Fils adoptif par excellence — Henri est le « fils adoptif » du poète Adophe Retté, aux dires de l’écrivain lui-même —, il est aussi, plus étrangement, « fils adoptif » biologique de Henri Joseph, ainsi que le consigne son livret militaire.

Henri Degron, le fils, grandit à Crespières, où, revenu du Japon tout enfant, il fut sans doute en grande partie élevé par sa grand-mère, Marie Henriette Degron, née Gandouin en 1815. Jeune adulte, il commença des études de Droit à Paris, mais préféra grandement, à l’étude des lois, la fréquentation des poètes et bohèmes du quartier latin. Il renonça donc rapidement à la carrière plus sérieuse à laquelle le destinait son père, et la vie se chargea bien vite de révéler à Degron sa véritable destinée ; en 1891, dans un café rue Soufflot, à Paris, il fit la rencontre des poètes Jean Moréas et Adolphe Retté. Sous leur patronage, il se mit alors à fréquenter les cercles littéraires, et, très apprécié, y fut toujours admis de bon cœur. Dépeint par ses contemporains comme rêveur, généreux, subtil et, comme l'on dirait aujourd'hui, « anticonformiste », Degron ne gagna cependant de vraie reconnaissance qu’en 1894, lorsqu'il créa la revue Les Ibis avec son ami Tristan Klingsor.



Klingsor brosse un très beau portrait de Degron, publié par Eugène Montfort dans le volume Vingt-cinq ans de littérature française. Il y apporte de précieux renseignements sur le discret poète à la « singulière figure d’oriental », révélant une personnalité touchante, certainement (déjà !) en décalage avec son temps, qui « n'accordait que peu de conséquence à (…) l’argent », et habitait une petite maison « au fond de Vaugirard ».

Degron occupa pendant une brève période un emploi modeste à la Préfecture de la Seine ; puis il déménagea dans la ville de Roanne pour y être journaliste, avant de revenir à Paris après la mort de son père, ce dernier lui ayant laissé une petite fortune. En 1897, il se maria avec une certaine Julie Cheyrat. Belle preuve de ses liens solides avec le monde littéraire (et artistique), les écrivains Stuart Merrill et Ernest d'Hervilly, ainsi que le dessinateur Félix Régamey, furent ses témoins. Le couple eut un fils, mort à dix-neuf mois ; puis ils divorcèrent en 1905. Cette « vie personnelle » un peu sombre fut compensée par les relatifs succès littéraires. Il devint critique régulier à la revue La Plume, avant de publier trois recueils de poèmes ; Corbeille ancienne (1895), Pèlerinages vers l'automne (1898), et Poèmes de Chevreuse ou Les Villanelles à la Vallée (1902). Le premier recueil Corbeille ancienne, certes peu original par la forme mais d'une grande finesse de pensée, fut bien accueilli par la critique. Adolphe Retté, soutien des premiers jours, en donna une belle préface : « Le poète n'est-il pas excellent en ceci, qu'il diffère de la majorité compacte des sots qui vivent selon les vérités acceptées par tous ? » écrit-il, au sujet de Degron. Fidèle ami de Verlaine, — il lui dédia un poème avec les mots « A mon maître aimé », — signe d'allégeance et d'une filiation dont il ne cherche pas à se défendre mais qu'il revendique au contraire , Henri Degron dédia aussi de très nombreux poèmes à d'autres écrivains qu'il aimait : Maurice Maeterlinck, Marcel Schwob, Jean Lorrain, Octave Mirbeau ou encore Remy de Gourmont, pour n'en citer que quelques-uns. Chaque poème de Corbeille ancienne semble d’ailleurs conçu pour être en harmonie avec l'esprit du dédicataire ; à Jean Moréas le détour par Pindare et les Hellènes, à Louis le Cardonnel des bois en prière... Cette anthologie est aussi une série d'hommages aux poètes admirés, Albert Samain, Raymond de la Tailhède, lui-même, on le sait, admirateur de Moréas : l'ensemble des poètes est cohérent.


La grand-mère, le père et le fils se succédèrent de peu dans la tombe : Henry Joseph mourut le 22 juin 1906 à soixante-sept ans. Sa mère, Marie Henriette Degron, rendit l’âme à Crespières le 7 juin 1907, ayant survécu un an tout juste à son fils, et une demi-année à son petit-fils. Ce dernier était en effet mort loin de la Vallée de Chevreuse qu’il avait tant chantée, dans le triste hôpital Saint-Antoine, d’une laryngite tuberculeuse, le 17 novembre 1906. Tristan Klingsor révèle, dans le portrait de Vingt-cinq ans de littérature française, que Degron tenait à « avoir son buste ». Il raconte être allé à l'hôpital Saint-Antoine avec un camarade afin de prendre un moulage du visage du poète. On ne retrouva jamais cette ultime empreinte.


Henri Degron

Dessin publié dans Le Procope, 1 octobre 1894


*


La poésie d’Henri Degron représente un symbolisme aux antipodes du mallarméisme, comme en témoigne ce poème de Corbeille ancienne dédiée « à ma Roberte tout simplement », où se succèdent sans prétention chansons bucoliques et bergeries improbables :


« De Roberte, ma mie, ma soeur,

De Roberte, au fol minois, la si gente,

Je chante grâce et douceur,

Et ne sais, en vallons imprégnés d'aurore,

Bergère aucune, plus charmante

Et plus mutine encor »


Des parcs dans la nuit, des pâtres, des tourterelles, beaucoup de douceur, sans préciosité mais avec une délicatesse que ses amis rattachaient volontiers à l'art japonais, en souvenir des années d'enfance passées au Japon. Mais nulles inspirations nippones dans ces « oiseaux bleus », cette « brise d'avril », ces « brassées de glaïeuls » et ces « anémones », ces « glycines » et ces « chrysanthèmes », ces « lis », et enfin ces volées de «rossignols », de «colibris », de « mésanges » et de « libellules »... Quant aux asphodèles et aux reposoirs (« Soir », dédié à Henri de Régnier), ils constituent les éléments de thèmes symbolistes récurrents — le silence, l'automne et le soir, motifs qui côtoient ainsi des éléments proches d'une bucolique plus mièvre. Le ton verlainien des fêtes galantes imprègne le recueil, telle une « Galantise » dédiée « à Pierre Louÿs », où Florise chante sa bonne chanson. L'insistance sur la musicalité se marque jusque dans le choix des titres («Barcarolle », « Ritournelle » ou « Mélodie triste », cette fois-ci dédiée à André Gide). Une verlainienne « Chanson d’automne » a pour dédicataire, encore, le fidèle ami Tristan Klingsor…


Degron ne recherche pas la singularité, au contraire. Il semble à l'aise dans ces paysages lissés, dans cette nature maîtrisée des parcs « très XVIIIe siècle », et des fêtes galantes aux boudoirs et marquises. L'originalité de Degron est ailleurs, et peut-être justement dans cette aisance à reprendre des motifs et des mètres connus pour en faire un paysage mental en harmonie avec son tempérament, sans tenir compte de la critique. Sa particularité réside aussi dans l'adéquation parfaite entre l'homme et l’oeuvre. Le premier ayant fait le choix courageux de renoncer au bien-être matériel et au conformisme social et culturel pour vivre de peu, et loin du monde. La deuxième, reflétant cette nature simple et paisible… Le paysage qu'il décrit n'est donc pas uniquement conventionnel ; ses vallons et ses bois constituaient son cadre de vie réel.

Bien qu'oubliée, la poésie consolatrice d’Henri Degron est un éternel hommage aux plus délicats sentiments.


Henri Degron, rare exemplaire des Poèmes de Chevreuse

(collection personnelle)

«Toi donc, ami lecteur, qui es las du tumulte des grandes villes où les soirs s'épandent sur des désespoirs sans cesse renaissants et où les aubes se lèvent sur des espoirs toujours mourants, toi qui aspires au calme de la lointaine contrée où la maison natale au toit de chaume abrite, à la lisière des blés, cent nids de pépiantes hirondelles, ô toi qui voudrais te reposer un peu sur cette terre, parmi ses herbes, ses parfums et ses fleurs, avant de te résigner au repos éternel dans sa boue et sa pourriture, ô toi, mon frère en douleur, ouvre ce petit livre qui est comme l'herbier des prés, des champs et des bois si peu connus de notre triste nostalgie, et le poète modeste et fier que je célèbre sera heureux si tu peux dire, en le fermant, que tu as senti après lui le désir de sourire et de pleurer bien simplement, comme un homme. »

Stuart Merrill, extrait de sa préface aux Poèmes de Chevreuse d'Henri Degron (1902).



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Choix de poèmes


Rêve

Corbeille ancienne (1895)

A Léon Deschamps.



Je voudrais être un pâtre blond,

Montant à pas lents la colline : Pastour, sur un chemin bien long

Jouant un air de mandoline...

J'irais par la sente des bois,

Rêver aux larmes des étoiles, Et les anges que seul je vois

Cacheraient mes pas sous leurs voiles.

Des rossignols, aux chants en pleurs

Par delà le dais vert des branches A l'entour, charmeraient vos fleurs

Ô marguerites et pervenches !


Des cors berceraient l'horizon De leurs sanglots lointains d'amante, Et j'irais, fuyant ma maison,

Chanter ma rondelle charmante...

Seuls, mes doux agneaux, dans la nuit,

Emus par la chanson du pâtre,

S'endormiraient au Val, sans bruit, Dans les touffes de thym bleuâtre...

Et je serais le pâtre blond, Montant à pas lents la colline,

Pastour, sur le chemin bien long, Jouant un air de mandoline...


Roi d'un pays très bleu...

Corbeille ancienne (1895)


Roi d'un pays très bleu de fantaisies, Il m'a fallu courir de par le monde

Pour m'emparer de ces terres choisies

Où, paraît-il, le Rêve vagabonde...

J'ai pris la nacelle fraîche des brises Et vu toutes les forêts endormies ; Mais les tourterelles, par moi surprises, Ne m'ont point conté de choses amies...

Et puis j'ai cueilli des gerbes de roses Qu'au vent du soir lentement j'ai fanées : Mais ces fleurs d'amour n'étaient guère écloses, En les effeuillant j'ai compté mes années...


Et seul, perdu dans la grandeur des plaines,

C'est enfin grâce au regard des étoiles Et la voix enjôleuse des fontaines Que j'ai pu gouverner toutes mes voiles

Las ! m'y voici dans mon brumeux royaume !

Ô ces chansons d'exil et ces pensées Qui s'élèvent du seuil de chaque chaume

Et que le vent d'hiver n'a point chassées !...

Roi d'un pays très bleu de fantaisies, J'ai pour vassaux, dit-on, des gens tranquilles

Qui, jour et nuit, brodent des poésies Tout comme les gais baladins des villes...



Pour le tombeau d'Albert Samain

Poèmes de Chevreuse, ou les Villanelles à la Vallée (1902)


A Achille Segard.



C'est le soir qui passe infiniment sur la plaine,

Tintant son angelus pour le coeur du berger...

C'est la Nuit qui vient par les portes du verger,

Offrir son parfum d'amour à la châtelaine...


Il glisse une langueur par cette heure incertaine,

Qui semble agoniser sur un rêve léger...

Mais le ciel tremble, et la voix du soir a changé :

Une brise de deuil fane la marjolaine...


Ô pleurez ! Filles, qui veniez à la fontaine !

Le doux poète est mort : il n'y a plus personne...

Et le silence a fait place à la Cantilène...


C'est le soir qui passe infiniment sur la plaine ;

Son angelus n'est plus qu'une immortelle haleine,

Celle d'une âme éteinte un peu avant l'Automne.


Mort en Août 1900 à Magny-les-Hameaux, près Chevreuse.



Musique lente

Corbeille ancienne (1895)

A André et Jacques des Gâchons.

Entends-tu pas dans le val qui frissonne,

Sur le sentier longeant les étangs bleus, Une plainte, comme un doux chant d'automne,

S'exhaler et mourir auprès des cieux ?

La nuit est pensive et l'étoile est pâle,

Les linots ne rêvent plus deux à deux,

Et dans les taillis mugit la rafale : La rafale de nos coeurs malheureux.

Elle monte et s'étend lente et bien lente,

Effleurant les joncs verts des étangs bleus, Et, ma Dame, comme la Nuit tremblante,

A ce sanglot des bois, ferme les yeux...


Entends-tu pas dans le val qui frissonne,

Sur le sentier bordé d'un vert linceul, Une plainte, comme un long glas qui sonne, S'exhaler pour un cœur, un cœur trop seul?...



Tristesses d'octobre

Poèmes de Chevreuse, ou les Villanelles à la Vallée (1902)


A Roger Marx.


Je souffre, ce soir, de la douleur des choses

Et de voir au jardin de la vallée,

Les anémones et les roses

Doucement s'en aller...

Et dans l'étang, sous le jour bleu de la lune,

Les feuilles, à regret, tomber une à une !...


Je souffre d'une douleur comme lointaine,

De tout ce qui n'est plus, de tout l'autrefois

Qui a passé par la plaine

Et chante par les Bois !...

Mots d'enfance et regards de femme,

Carillons d'oiseaux sur l'horizon,

Baisers volés loin des maisons :

Ô tout cela, qui torture mon âme !...


Pourquoi vivre et souffrir quand tout meurt,

Quand la lumière agonise,

Par cet Automne aux teintes blondes ?

Pourquoi te révéler, encore, mon coeur,

Et battre aux mots graves qui se disent

En chuchotements d'église,

Dans les futaies profondes !...


Les passants ont déserté la route.

Et les villages se sont endormis...

Les hulottes, seules, s'écoutent

Dans les clochers blêmis...


Pourquoi vivre et souffrir quand tout meurt,

Quand des lèvres sur d'autres lèvres vont mourir,

Et puisque voici l'heure

Où les verveines vont défleurir !...

C'est la Nuit ! Nuit des campagnes,

Que la grande Ombre accompagne

Avec de la peine et du mystère.

Et les joies dernières de la Terre !...


Milon-la-chapelle.



Soir

Corbeille ancienne (1895)

A Henri de Régnier.


Oui, c'est bien là le calme et lointain reposoir, Que mon cœur a choisi pour comprendre le Soir... Le Soir! Ce baiser lent du ciel et du mystère, Alors que le sommeil sur les fleurs de la terre, Retient tous les parfums, garde tous les frissons Et vers les coteaux bleus fait taire les chansons !... Ne dirait-on, là-bas, comme un murmure d'ailes

Près du velours vert où veillent les asphodèles?

Des nids de mousse y sont cachés et leurs berceaux

Palpitent en cadence au rire des ruisseaux !... Et puis, ce chant de la colline et de la plaine. Ces longs échos frileux que la nuitée amène, Et qui tant murmurés au seuil mourant du jour

S'en viennent jusqu'à nous pour éveiller l'Amour!...

Ô que la nuit est belle et le parc est en rêve,

Les rossignols subtils entre eux ont fait la trêve, Et les fleurs, les gazons, les lilas bocagers

Epandent en douceur tous leurs flocons légers,

Des rythmes inconnus flottent par la ramie, Qu'on dirait envolés d'une lyre endormie... C'est l'heure du silence et celle du berger, Et la feuille elle-même n'ose plus bouger!... Des taillis aux bosquets, la nuit claire s'étonne, De voir ainsi doucement s'effeuiller l'automne!...

Mais l'heure tinte... et se perd dans le fond des bois, II passe sur l'étang des ombres d'autrefois...



Stances d'hiver

Corbeille ancienne (1895)

A Achille Delaroche.

L'avril est défunt qui, tout larmoyant de calices,

Epanchait ses parfums doux de la branche à la plaine Et ce, parmi les moiteurs chaudement en délices

D'un soleil en sourire, allumant les cieux, à peine...

Car j'ai su des coteaux où se pâmaient les cytises,

Car j'ai su des sentiers tout amollis d'asphodèles, Où naguère s'acheminaient, bergères exquises,

Tenant en mains guirlandes et plumes d'hirondelles...

Mais, depuis qu'un jour une belle et pâle déesse, Rejeta son hermine par-dessus les automnes Je cherche dans les bois, hélas, l'ancienne caresse Des feuilles et des brises et du chant des pinsonnes...


Un deuil très lent parcourt le sommet tremblant des arbres

Et la brise se donne au profond clair des allées, Pour mieux engourdir les gestes ingénus des marbres Ne pouvant plus faire signe aux oiselles gelées...

Or, allez, rêveurs, aux alpes lointaines du rêve,

Allez, des frimas ramasser les dernières cueilles, Et si vous ne trouvez pour chanter, la forte sève,

Du moins, l'hiver vous offrira bien ses mortes feuilles !...

Et, là-bas, près des lacs glacés flagellés des neiges,

Vous irez — goélands d'amour — ravir les rivages,

Où la mer, en la nuit radieuse des Norvèges, A des rayons d'or pour les poètes et les sages!...



Frissons

Corbeille ancienne (1895)


Par delà les bois noirs où soupirent des ailes,

Des ailes de ramiers heureux sous les taillis,

Le parc ancien étend son immense fouillis

Que dorlotent, le soir, de vieilles ritournelles...


On dirait dans ces bois de vieilles cathédrales

Bruissant sous les voix des saints d'un autre manoir,

Et l'on croirait ouïr l'écho triste des râles :

Adieux d'oiseaux mourants jaloux des chants du soir...


Et les feuilles du parc ont l'air de trépassées ;

Elles tremblent aux pleurs d'un ruissel en souci,

Et des coteaux prochains, monte en prière aussi,

La touchante senteur des fenaisons passées...



Clarté

Corbeille ancienne (1895)

Au seuil noir de la nuit je me suis arrêté : Les cieux étaient obscurs et les bois remplis d'ombre,

Et le spectre effarant des silences d'été, Errait devant mes yeux plus charmeur et plus sombre.

Puis j'ai marché longtemps sans souci de mes pas, Dans les sentiers fanés au hasard des murmures,

Effarouchant les ramiers bleus s'aimant tout bas, N'ayant pour me guider que des troncs sans ramures...

Et je ne voyais rien, hormis l'Immensité Qui dormait son sommeil à la face du monde : Je ne voyais pas même un logis enchanté,

Pour bénir d'un repos ma course vagabonde !...


Alors! j'ai crié mon angoisse dans la nuit, J'ai crié ma détresse et mon premier naufrage, J'ai pleuré tout ce qui pour moi s'était enfui : Le bonheur d'ici-bas et la foi du jeune âge...

Et seul, enlinceulé, contemplant mon destin,

Devant la solitude immense et sans clémence, Je me suis demandé, dans ma pauvre démence,

Quel chemin je prendrais pour gagner le matin!...

Crespières, automne 1892.



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