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Poème du jour : "Les fileuses lointaines", par André Lebey

"Le Rêve est las d'aller aux cieux."

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André Lebey par Jacques-Emile Blanche (1887)



Les fileuses lointaines

André Lebey, Les poèmes de l'amour et de la mort, 1898


J'ai pris tous les chemins ouverts au carrefour

Où mon inquiétude, à lasser son poème,

Chercha la route où s'anéantir elle-même

A jamais, loin des voix qui disaient son retour. Hélas ! il n'est de route où heurter son tombeau !

Nulle ombre ne captait l'Espoir aux ailes d'or

Qui m'indiquait du doigt une aventure encor

Où trouver un bonheur certain de renouveau.


Hélas ! A l'horizon de tout pèlerinage

C'était le vieux château de la mélancolie

Qui prêtait son refuge au rêve de ma vie

Si longtemps exalté, tout le long du voyage.


Et la porte à jamais restant mystérieuse,

La seule fleur alors qui parfumait ma foi

Etait de voir derrière un vitrail d'autrefois

Le travail attentif et sûr d'une fileuse.


*


La route était simple et tranquille

Comme prometteuse d'asile,

Indulgente à mes pas d'enfant.

— Le vieux château dans le matin

Se dressa haut vers le lointain

Sur un ciel doux lamé d'argent.


La porte demeura fermée

Devant mon enfance étonnée

Qui vit une femme aux doigts lents

Derrière un large vitrail blanc

Filer un gros écheveau blanc.


— La Joie s'est enfuie dans le vent —


La route était encore belle

Sous l'éventement doux des ailes

Des oiseaux gris de leur essor.

— Le vieux château semblait fidèle

A rappeler jusqu'aux tourelles

L'image du premier décor.

La porte demeura fermée

Devant ma jeunesse étonnée

Qui vit la même femme encor

Derrière une rosace d'or

Filer un gros écheveau d'or.


— La Douleur veille les Dieux morts —


La route, morne, traversait

Des plaines, des monts, des forêts,

Noire de longs tunnels ombreux.

— Le vieux château comme à jamais,

Silencieusement, dressait

Une masse aux murs ténébreux.


La porte ne se brisa pas

A l'essai qu'y tenta mon bras.

Une femme, des pleurs aux yeux,

Derrière un large vitrail bleu

Filait un gros écheveau bleu.


— Le Rêve est las d'aller aux cieux —


La route, saisissable à peine,

Sinuait tout le long des plaines

Où soufflait un vent de misère.

— Le vieux château devant ma peine

Dressait comme un grand bloc de haine

Tout de nuit sur l'horizon clair.


La porte demeura fermée

Devant ma vieillesse étonnée

Qui revit la femme aux yeux pers

Derrière un large vitrail vert

Filer un gros écheveau vert.


— L'Espoir n'étreint plus de chimères —


La route mène aux mers des brumes

Où le soleil encore allume

Des rayons qu'un brouillard enlise.

— Le vieux château de l'amertume

Dans la mer de glace et d'écume,

Résiste au choc lourd des banquises.


La porte sous l'effort des vents

N'a rien disjoint de ses battants.

Une femme aux mains de traîtrise

Derrière une rosace grise

Y file de la laine grise.


— L'Ennui retient l'essor des brises —


*


Et les soleils sont morts qui doraient d'incendie

Les vitraux derrière où nuancer mon destin ;

Je ne vois plus le fil frissonner dans les mains

Qui tiennent le secret et l'heure de ma vie.


Et la route n'est plus à travers l'aujourd'hui

Qu'un cordon de ténèbre aux champs de désespoir

Bordant tous mes châteaux où des femmes en noir

Filent rêveusement la laine de la nuit.

© Anthologia, 2025. Tous droits réservés.

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