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Léon Bonvin, paysages d’âme et natures mortes


"Il n'a jamais joué à l'incompris, et il ne se plaignait pas d'être méconnu. Doué comme un poëte, il était brave comme un héros."

Jules Vallès à propos de Léon Bonvin

L'Événement, 9 février 1866




Portrait de Léon Bonvin (daguerréotype)

Fondation Custodia, Collection Frits Lugt, Paris


« La branche avait cassé ; c'est le seul dégât qu'il ait commis dans sa vie. Il avait tout juste trente-deux ans », avait écrit François Bonvin (1834-1866) à l’un de ses amis, au sujet de son demi-frère Léon. Léon Bonvin, peintre non reconnu de son vivant et toujours fort méconnu aujourd’hui, venait de se pendre dans la forêt de Meudon, un jour d’extrême lassitude.

Cette âme d’artiste, qui aimait d’ailleurs la musique autant que l’art (« musicien de goût et peintre de valeur* »), avait repris la petite guinguette de son père à Vaugirard. Il vivait avec sa femme Constance Félicité, et ses trois jeunes enfants, dans une maison modeste bâtie par ses soins, "entourée de lilas et de haies qui en faisaient presque un bon endroit au milieu de la plaine si aride de Vaugirard et de ses masures clairsemées.**". Mais, acculé par les dettes, accablé, selon les mots de Paul Lefort, « par toutes sortes de chagrins*** », et confronté au mépris des galeristes et des marchands auprès de qui il avait tenté de vendre ses aquarelles, Bonvin n’avait trouvé la paix ultime que dans ce geste de désespoir.

Sa vie fut courte, mais son œuvre considérable : plusieurs centaines d’esquisses, de dessins et de tableaux la composent. C’est également François Bonvin, peintre réaliste alors non sans renommée, qui avait incité son frère à suivre la même voie artistique que lui, et qui lui avait transmis l’exigence des maîtres hollandais et flamands. Porté par sa passion, Léon avait commencé par réaliser des croquis au crayon noir et au fusain ; de nombreux dessins de cette période témoignent de son impressionnante habileté à restituer les atmosphères d’intérieurs, les paysages, et les expressions de ses sujets avec une grande justesse. À partir de 1860, il s’était surtout consacré à la peinture et à l’aquarelle, représentant la flore de la plaine de Vaugirard, autour du cabaret familial, mais aussi des natures mortes particulièrement remarquables, où transparaissent son goût du détail et sa précision presque photographique.

Mais Léon Bonvin est l’un de ces maudits de grand talent qui, tel le brillant poète Léon Deubel se jetant dans la Marne à trente-quatre ans après une vie de déconvenues, se suicida sans avoir jamais vu son œuvre reconnue. Ironiquement, la reconnaissance arriva très peu de temps après sa mort : le 24 mai 1866, François Bonvin organisa une vente aux enchères des œuvres de son demi-frère au profit de sa veuve et de ses enfants, désormais privés de ressources. Tristement, ce fut cet événement qui permit de faire connaître cette œuvre exceptionnelle : cette fois, les croquis et aquarelles eurent un succès d’estime, et furent acquis par de nombreux galeristes et collectionneurs. Au silence de sa disparition répondit, trop tardivement, l’écho de son talent.

Aujourd'hui, Léon Bonvin reste un peintre de l'ombre, dont les œuvres demeurent, néanmoins, toujours recherchées. Deux rétrospectives lui furent consacrées, dont celle, très récente, de la Fondation Custodia : Léon Bonvin, Une poésie du réel, en 2022-2023.

 

 

« On allait chez lui l'été ; il fallait un plan pour y arriver. Il mettait le couvert en jouant avec ses enfants, surveillait le rôti, servait son meilleur vin à trente sous : c'était un simple traiteur. Au dessert, c'était un artiste. Il se mettait à son piano et jouait ce qu'on voulait. On lui demandait ses aquarelles, il montrait des merveilles, des fleurs, des herbes, des plantes, celles de son enclos, celles qui poussent au hasard, celles qu'on arrache ordinairement. Il affectionnait les plus humbles et les plus petites. »

A.-P. Martial, cité dans le feuilleton du Constitutionnel (21 août 1866) "Beaux-Arts" : Lettres illustrées sur les artistes et les oeuvres modernes : Salon de 1866



« Il n'a jamais joué à l'incompris, et il ne se plaignait pas d'être méconnu. Doué comme un poëte, il était brave comme un héros ; sa bravoure était modeste, obscure ; il portait un tablier du marchand de vins, avec des poches sur le ventre et le foret à la ceinture ; il servait les maçons quand ils avaient soif, et renvoyait les ivrognes quand on se battait : fort comme un hercule, doux comme une femme. Il peignait un paysage, ou déchiffrait un morceau de Mozart quand il avait percé les barriques ou mis son vin en bouteilles. Il arrivait, sans doute, que son cœur saignait quand il se sentait retenu à ce métier par force ; mais jamais il ne fit entendre une plainte, et il étouffa toute sa vie le soupir. Au moment de sa mort seulement, il laissa éclater sa douleur, et un paysan l'entendit dans les bois qui criait : "J'ai trop souffert !" Le soir, il était mort. [...] Il aimait les fleurs, les feuilles. Quand il le pouvait, il partait avec sa boîte à couleurs sous le bras, et il allait peindre au fond d'un bois. Peut-être aimait-il à venir s'asseoir à l'ombre de l'arbre auquel il s'est pendu. Il a promené un dernier regard sur cette nature qu'il aimait tant, attaché à la corde... puis la mort a fermé ses yeux pleins de larmes. Sa femme m'a dit qu'après être une première fois parti, il revint, resta à la maison jusqu'à trois heures, au milieu de ses enfants qu'il adorait. Il repartit ; elle ne l'a pas revu. »

Jules Vallès, L'Événement, 9 février 1866




Notes :


*J. Poignand, "Les mœurs du quartier latin en 1850", Le Gaulois, 28 juin 1877

** A.-P. Martial, cité dans le feuilleton du Constitutionnel (21 août 1866) "Beaux-Arts" : Lettres illustrées sur les artistes et les oeuvres modernes : Salon de 1866

***"Les Artistes contemporains : Philippe Rousseau et François Bonvin", La Gazette des Beaux-Arts, 1888



Autoportrait, 1866 (dédié à sa femme)

"Léon Bonvin était un grand garçon à l'allure plébéienne, mais au front large, à l'oeil doux ; il faisait des tableaux, de la musique, et tenait une guinguette dans la plaine de Vaugirard." (Paul Roche, "François Bonvin" in Le Gaulois, 21 décembre 1887)



Portrait du père de l'artiste, 1856



Femme à l’ouvrage près d’une fenêtre, 1855



Une chambre avec la porte ouvrant sur une cour et un chemin (s.d.)



Un caniche blanc et un chat près d'un poêle (s.d)



Bouquet de violettes, 1863



Léon Bonvin, Rosier devant un paysage, 1863



Cloches de cantorbéry, 1863



Scène de forêt au crépuscule, 1864



Bouquet de fleurs et tulipe, 1862



Oiseaux reposant sur des buissons, 1864



Nature morte : plat d’huîtres, verre et couteau sur une table, 1861



Nature morte : panier de pommes, poire, noix et couteau, 1863



Nature morte avec du vin, de l'eau, des fruits et des noix, 1864



Nature morte au panier de raisins, noix et couteau, 1863



Nature morte avec coupe de fruits (coings, pommes et poire), 1863



Nature morte : marguerites et violettes, 1866



Paysage, effets de givre, 1865



Aubépines devant un paysage nocturne avec maisons en arrière-plan (date incertaine)



Paysage avec un arbre nu et un laboureur, 1864



Cuisinière au tablier rouge, 1862

Le modèle serait la femme de Bonvin, Constance Félicité, et la cuisine serait celle du cabaret qu'ils tenaient.

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