Nicolas Chamfort : Anecdotes (morceaux choisis)
Dernière mise à jour : 9 mai 2023
Extraits de :
Nicolas Chamfort
Maximes, Pensées, Caractères et Anecdotes
(1796)
L’homme, disait M…, est un sot animal, si j’en juge par moi.
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M… disait, à propos de sottises ministérielles & ridicules :
Sans le gouvernement, on ne rirait plus en France.
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On avisait dans une société, aux moyens de déplacer un mauvais Ministre déshonoré par vingt turpitudes. Un des ennemis connus, dit tout-à-coup : ne pourrait-on pas lui faire faire quelque opération raisonnable, quelque chose d’honnête, pour le faire chasser ?
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Que peuvent pour moi, disait M…, les Grands & les Princes ? Peuvent-ils me rendre ma jeunesse ou m’ôter ma pensée, dont l’usage me console de tout ?
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J. J. Rousseau, étant à Fontainebleau, à la représentation de son Devin du Village, un Courtisan l’aborda, & lui dit poliment : Monsieur, permettez-vous que je vous fasse mon compliment ? — Oui, Monsieur, dit Rousseau, s’il est bien. Le Courtisan s’en alla ; on dit à Rousseau : mais y songez-vous, quelle réponse vous venez de faire ! — Fort bonne, dit Rousseau. Connaissez-vous rien de pire qu’un compliment mal fait ?
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On disait à M…, Académicien : vous vous marierez quelque jour. Il répondit : j’ai tant plaisanté l’Académie, & j’en suis ; j’ai toujours peur qu’il ne m’arrive la même chose pour le mariage.
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Le Régent voulait aller au bal, & n’y être pas reconnu. J’en sais un moyen, dit l’Abbé Dubois ; &, dans le bal, il lui donna des coups de pied dans le derrière. Le Régent qui les trouva trop forts, lui dit : L’Abbé, tu me déguises trop.
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Made. Beauzée couchait avec un maître de langue Allemande. Mr. Beauzée les surprit au retour de l’Académie. L’Allemand dit à la femme : quand je vous disais qu’il était tems que je m’en aille. M. Beauzée, toujours puriste, lui dit : que je m’en allasse, Monsieur.
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C’est une chose remarquable que Molière, qui n’épargnait rien, n’a pas lancé un seul trait contre les gens de Finance. On dit que Molière & les autres comiques du tems eurent là-dessus des ordres de Colbert.
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M. Th. me disait un jour, qu’en général dans la société, lorsqu’on avait fait quelque action honnête & courageuse, par un motif digne d’elle, c’est-à-dire très-noble, il fallait que celui qui avait fait cette action lui prêtât, pour adoucir l’envie, quelque motif moins honnête & plus vulgaire.
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Je demandais à M… pourquoi il avait refusé plusieurs places ; il me répondit : je ne veux rien de ce qui met un rôle à la place d’un homme.
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Trois choses, disait N…, m’importunent, tant au moral qu’au physique, au sens figuré comme au sens propre : le bruit, le vent & la fumée.
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J’ai bien examiné M… & son caractère m’a paru piquant ; très-aimable & nulle envie de plaire, si ce n’est à ses amis ou à ceux qu’il estime. En récompense une grande crainte de déplaire. Ce sentiment est juste & accorde ce qu’on doit à l’amitié & ce qu’on doit à la société. On peut faire plus de bien que lui, nul ne fera moins de mal. On sera plus empressé, jamais moins importun. On caressera davantage, on ne choquera jamais moins.
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J’ai connu un Misanthrope, qui avait des instans de bonhommie, dans lesquels il disait : je ne serais pas étonné qu’il y eût quelque honnête homme caché dans quelque coin, & que personne ne connaisse.
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Un philosophe à qui on reprochait son extrême amour pour la retraite, répondit : dans le monde tout tend à me faire descendre, dans la solitude tout tend à me faire monter.
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Je demandais à M. N… pourquoi il n’allait plus dans le monde ? il me répondit : c’est que je n’aime plus les femmes, & que je connais les hommes.
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On accusait M… d’être misanthrope. Moi, dit-il, je ne le suis pas ; mais j’ai bien pensé l’être, & j’ai vraiment bien fait d’y mettre ordre. — Qu’avez-vous fait pour l’empêcher ? — Je me suis fait solitaire.
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On faisait la guerre à M…, sur son goût pour la solitude, il répondit : c’est que je suis plus accoutumé à mes défauts qu’à ceux d’autrui.
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La manière dont je vois distribuer l’éloge & le blâme, disait M. de B…, donnerait à un plus honnête homme du monde l’envie d’être diffamé.
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M… qui après avoir connu le monde, prit le parti de la solitude, disait pour ses raisons, qu’après avoir examiné les conventions de la société dans le rapport qu’il y a de l’homme de qualité à l’homme vulgaire, il avait trouvé que c’était un marché d’imbécile & de dupe. J’ai ressemblé, ajoutait-il, à un grand joueur d’échecs, qui se lasse de jouer avec des gens auxquels il faut donner la Dame. On joue divinement, on se casse la tête, & on finit par gagner un petit écu.
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Je vous prie de croire, disait M… à un homme très riche, que je n’ai pas besoin de ce qui me manque.
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J’ai assisté hier à une conversation philosophique entre M. D… & M. L…, où un mot m’a frappé. M. D… disait : Peu de Personnes & peu de choses m’intéressent, mais rien ne m’intéresse moins que moi. M. L… lui répondit : N’est-ce point par la même raison ; & l’un n’explique-t-il pas l’autre ? Cela est très-bien, ce que vous dites là, reprit froidement M. D…, mais je vous dis le fait : J’ai été amené là par degrés : en vivant & en voyant les hommes, il faut que le cœur se brise ou se bronze.
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Je demandais à M… pourquoi aucun des plaisirs ne paraissait avoir prise sur lui ; il me répondit : ce n’est pas que j’y sois insensible ; mais il n’y en a pas un qui ne m’ait paru sur-payé. La gloire expose à la calomnie ; la considération demande des soins continuels ; les plaisirs, du mouvement, de la fatigue corporelle. La société entraîne mille inconvéniens : tout est vu, revu & jugé. Le monde ne m’a rien offert de tel qu’en descendant en moi-même, je n’aie trouvé encore mieux chez moi. Il est résulté de ces expériences réitérées cent fois, que sans être apathique ni indifférent, je suis devenu comme immobile, & que ma position actuelle me paraît toujours la meilleure, parce que sa bonté même résulte de son immobilité & s’accroît avec elle.
L’amour est une source de peines ; la volupté sans amour est un plaisir de quelques minutes ; le mariage est jugé encore plus que le reste ; l’honneur d’être père amène une suite de calamités ; tenir maison est le métier d’un Aubergiste. Les misérables motifs qui font que l’on recherche un homme ou qu’on le considère, sont transparens & ne peuvent tromper qu’un sot, ni flatter qu’un homme ridiculement vain. J’en ai conclu que le repos, l’amitié & la pensée étaient les seuls biens qui convinssent à un homme qui a passé l’âge de la folie.
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M… disait qu’un esprit sage, pénétrant et qui verrait la Société telle qu’elle est, ne trouverait partout que de l’amertume. Il faut absolument diriger sa vue vers le côté plaisant, & s’accoutumer à ne regarder l’homme que comme un pantin, & la Société comme la planche sur laquelle il saute. Dès-lors, tout Change : l’esprit des différens états, la vanité particulière à chacun d’eux, ses différentes nuances dans les individus, les friponneries, &c. tout devient divertissant, & on conserve sa santé.
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M… jouit excessivement des ridicules qu’il peut saisir & appercevoir dans le monde. Il paraît même charmé lorsqu’il voit quelque injustice absurde ; des places données à contre-sens, des contradictions ridicules dans la conduite de ceux qui gouvernent, des scandales de toute espèce que la société offre trop souvent. D’abord j’ai cru qu’il était méchant, mais en le fréquentant davantage, j’ai démêlé à quel principe appartient cette étrange manière de voir. C’est un sentiment honnête, une indignation vertueuse qui l’a rendu long-tems malheureux, & à laquelle il a substitué une habitude de plaisanterie, qui voudrait n’être que gaie, mais qui devenant quelquefois amère & sarcasmatique, dénonce la source dont elle part.
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Un Philosophe me disait qu’après avoir examiné l’ordre civil & politique des sociétés, il n’étudiait plus que les sauvages dans les livres des voyageurs, & les enfans dans la vie ordinaire.
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Le bonheur, disait M…, n’est pas chose aisée. Il est très-difficile de le trouver en nous, & impossible de le trouver ailleurs.
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Dagerman comptait trop sur lui-même, tout seul, alors qu.il faut s.entourer d.autres chants
" Peu de gens se sont avisés que le seul passe-temps qui ne lasse jamais, c.est de tâcher, année après année, d.etre un peu moins ignorant, un peu moins rustre, un peu moins vil"
Nicolas Gomez Davila
( Le réactionnaire authentique)
"L.homme ne communique avec son semblable que quand l.un écrit dans sa solitude, et que l.autre lit dans la sienne. Les conversations sont divertissement, escroquerie ou escrime_
( Les horreurs de la démocratie)
La civilisation est un sourire qui mêle discrètement ironie et respect.
On est venu à bout des analphabètes, pour multiplier les illettrés.
( Dans les Horreurs)
La lecture est une drogue incomparable, parce…
Ah oui (◕ᴥ◕)