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"Ombres du temps passé", Louis de Launay [Poème]

Dernière mise à jour : 22 mai 2023


Grand scientifique, géologue hors pair, Louis de Launay était aussi un excellent écrivain et poète. Parfaitement oublié aujourd'hui, il a toute sa place dans notre Panthéon des poètes à réhabiliter... Découvrez le poème "Ombres du temps passé".


Louis de Launay

Photographie non datée



Ombres du temps passé

in Crépuscules et Nocturnes, 1908


Ombres qui voltigez autour de ma pensée,

Chères ombres, débris de ma splendeur passée,

Que depuis si longtemps l'inmaîtrisable flot

Porta vers un rivage avide de sanglots,

Ombres de tous mes morts chaque jour plus pâlies,

Plus vagues si mon coeur inquiet vous oublie,

Dans l'éternelle course aux tourbillons mouvants

Des morts plus morts que vous comptent chez les vivants !

Et le premier de tous c'est moi-même à chaque heure,

Ce moi qui n'est plus moi puisque rien n'en demeure,

Ni mes amours d'hier ni mes dieux expirés,

Ni mes espoirs changeants chaque soir déchirés...

Cultes évanouis qu'adora ma jeunesse,

Se peut-il que jamais un bourgeon ne renaisse

Sur vos troncs abattus qu'en leur essor vainqueur

Gonflait la sève ardente et pure de mon coeur ?

Quoi, pas même un tombeau sur vos cendres glacées;

Rien pour marquer la place où je vous ai laissées,

Rouges fleurs que sema mon rêve adolescent

Pour effeuiller sitôt leur chimère en passant ?

Vainement, anxieux d'un rêve illusoire,

J'évoque un moi qui sombre, et fouille en ma mémoire :

Tout ce que je saisis du fantôme Autrefois

Est comme une eau fluide et coule entre mes doigts !

Je m'épuise à fixer un tourbillon frivole

D'atomes qui, rebelle, au moindre bruit s'envole

Et dont voeux et projets dorment inachevés...

Vous, mes morts, mes chers morts, malgré tout vous vivez !

Vous êtes, Revenants, puisque encor je vous aime,

La part la plus solide et stable de moi-même.

Votre seul souvenir, culte ininterrompu,

Héritage dernier d'un moi que j'ai perdu,

Trahit les noeuds cachés et l'inflexible trame

Dont se tisse, pourtant si muable, notre âme.

Par vous je me rattache à ces aïeux lointains,

A ces moi disparus qui firent mes destins,

Mais dont, lorsqu'à tâtons dans leur nuit je pénètre,

L'esprit ne me tient plus qu'un langage d'ancêtre...


Photo personnelle


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