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Vauvenargues : Introduction à la connaissance de l’esprit humain

Dernière mise à jour : 2 sept. 2023


Vauvenargues, Luc de Clapiers

(1715-1747)




Luc de Clapiers, marquis de Vauvenargues Introduction à la connaissance de l’esprit humain


DISCOURS PRÉLIMINAIRE


"Toutes les bonnes maximes sont dans le monde, dit Pascal, il ne faut que les appliquer ; mais cela est très-difficile. Ces maximes n’étant pas l’ouvrage d’un seul homme, mais d’une infinité d’hommes différents qui envisageaient les choses par divers côtés, peu de gens ont l’esprit assez profond pour concilier tant de vérités, et les dépouiller des erreurs dont elles sont mêlées. Au lieu de songer à réunir ces divers points de vue, nous nous amusons à discourir des opinions des philosophes, et nous les opposons les uns aux autres, trop faibles pour rapprocher ces maximes éparses et pour en former un système raisonnable.


Il ne paraît pas même que personne s’inquiète beaucoup des lumières et des connaissances qui nous manquent. Les uns s’endorment sur l’autorité des préjugés et en admettent même de contradictoires, faute d’aller jusqu’à l’endroit par lequel ils se contrarient ; et les autres passent leur vie à douter et à disputer, sans s’embarrasser des sujets de leurs disputes et de leurs doutes.


Je me suis souvent étonné, lorsque j’ai commencé à réfléchir, de voir qu’il n’y eût aucun principe sans contradiction, point de terme même sur les grands sujets dans l’idée duquel on convint. Je disais quelquefois en moi-même : Il n’y a point de démarche indifférente dans la vie ; si nous la conduisons sans la connaissance de la vérité, quel abîme ! Qui sait ce qu’il doit estimer, ou mépriser, ou haïr, s’il ne sait ce qui est bien ou ce qui est mal ? et quelle idée aura-t-on de soi-même, si l’on ignore ce qui est estimable ? etc.


On ne prouve point les principes, me disait-on. Voyons s’il est vrai, répondais-je ; car cela même est un principe très-fécond, et qui peut nous servir de fondement.


Cependant j’ignorais la route que je devais suivre pour sortir des incertitudes qui m’environnaient ; je ne savais précisément ni ce que je cherchais, ni ce qui pouvait m’éclairer ; et je connaissais peu de gens qui fussent en état de m’instruire. Alors j’écoutai cet instinct qui excitait ma curiosité et mes inquiétudes, et je dis : Que veux-je savoir ? que m’importe-t-il de connaitre ? Les choses qui ont avec moi les rapports les plus nécessaires, sans doute ? Or, où trouverai-je ces rapports, sinon dans l’étude de moi-même et la connaissance des hommes, qui sont l’unique fin de mes actions et l’objet de toute ma vie ?


Mes plaisirs, mes chagrins, mes passions, mes affaires, tout roule sur eux ; si j’existais seul sur la terre, sa possession entière serait peu pour moi : je n’aurais plus ni soins, ni plaisirs, ni désirs ; la fortune et la gloire même ne seraient pour moi que des noms ; car il ne faut pas s’y méprendre : nous ne jouissons que des hommes, le reste n’est rien. Mais, continuai-je, éclairé par une nouvelle lumière : qu’est-ce que l’on ne trouve point dans la connaissance de l’homme ? Les devoirs des hommes rassemblés en société, voilà la morale ; les intérêts réciproques de ces sociétés, voilà la politique; leurs obligations envers Dieu, voilà la religion.


Occupé de ces grandes vues, je me proposai d’abord de parcourir toutes les qualités de l’esprit, ensuite toutes les passions, et enfin toutes les vertus et tous les vices qui, n’étant que des qualités humaines, ne peuvent être connus que dans leur principe. Je méditai donc sur ce plan, et je posai les fondements d’un long travail. Les passions inséparables de la jeunesse, des infirmités continuelles, la guerre survenue dans ces circonstances, ont interrompu cette étude. Je me proposais de la reprendre un jour dans le repos, lorsque de nouveaux contre-temps m’ont ôté, en quelque manière, l’espérance de donner plus de perfection à cet ouvrage.

(...)"



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